“Des mobylettes qui apportent de l’électricité verte au Bénin”
Comment sauver un pays frappé par la pauvreté d’une dépendance au carburant sale et illégal ? La question se pose au Bénin, en Afrique de l’Ouest. La société belge African Drive veut provoquer une révolution énergétique. Et contribuer à créer de la richesse et améliorer la qualité de l’air.
Des passeurs du Nigeria voisin introduisent au Bénin du pétrole brut volé en grandes quantités. Celui-ci est ensuite ‘craqué’ sur place pour le diesel et l’essence, en plein air et dans des conditions de dangerosité extrême. Le transport ne se porte pas mieux : des jeunes véhiculent jusqu’à 700 litres d’explosif sur leurs mobylettes en ruine. Les conséquences environnementales sont de taille ; des métaux lourds et autres substances nocives se retrouvant dans l’air, le sol et l’eau. 80% du carburant au Bénin proviendraient de telles activités.
Beaucoup de gens ne connaissent que le commerce informel et illégal – certainement aussi en ce qui concerne le carburant. Leur ‘gagne-pain’ en dépend. Chaque fois que le Nigeria rend la contrebande plus difficile, des pans entiers du pays s’arrêtent. La société belge African Drive veut briser ce cercle vicieux. Pour son projet pilote, elle bénéficie de l’appui du Business Partnership Facility, un programme de soutien de la Coopération belge au Développement et de la Fondation Roi Baudouin.
“Si nous pouvons améliorer l’accès à l’électricité via des mobylettes électriques, nous créerons de la richesse et améliorerons la qualité de l’air.”
Jonas Van Eyck, African Drive
Baobab Express
La société African Drive a été fondée par plusieurs entrepreneurs belges, dont Fried Vancraen, CEO de Materialise, avec l’ambition de briser le cercle vicieux. « Nous croyons que la solution réside dans la création d’entreprises rentables et totalement indépendantes. Nous les aidons à se lancer, mais notre objectif est que les entreprises béninoises deviennent totalement indépendantes ».
« Tout a commencé lorsque Materialise a entrepris un voyage d’immersion au Bénin et a commencé à organiser des camps d’été éducatifs », déclare Jonas Van Eyck, de African Drive. « Ces camps sont vraiment spéciaux. Certains participants n’avaient jamais vu d’ordinateurs. Quelques semaines plus tard, ils présentaient sur PowerPoint un projet qu’ils avaient conçu. Notre objectif est double. Nous sélectionnons des jeunes prometteurs qui étudient à nos frais, à condition qu’ils travaillent ensuite dans leur pays. Parfois, de bonnes idées émergent, telles que Baobab Express, qui a vu le jour en 2013 ».
« Les transports en commun étaient totalement inefficaces dans le pays. Personne ne pouvait prédire quand un bus allait passer. Ils étaient en outre souvent surchargés et dangereux. Tout le Nord du Bénin n’était même pas desservi », explique Jonas. « Baobab Express entend assurer un transport rapide et sûr. C’est rentable et c’est déjà la plus grande compagnie de bus du pays. La direction et l’équipe sont locales. Et c’est une marque très forte. Le slogan ‘Bouger et gagner ensemble, c’est bon!’ vit. Les chauffeurs sont devenus des ‘bougeurs’. Et les vendeurs de billets des ‘gagnants’. Tout le Bénin en parle. Beaucoup de gens veulent devenir ‘bougeurs’ ou ‘gagnants’. L’idée de base était la suivante: des transports en commun décents et abordables pour tous. Et ça marche. Baobab Express a répondu à un besoin socio-économique, avec un meilleur service et le souci du client. Les autres entreprises ont du mal à suivre et mieux encore : elles se voient obligées d’améliorer leur niveau. Nous employons maintenant une équipe de 230 jeunes employés locaux, suivie d’une équipe de coaches belges expérimentés dirigée par Chris Van Assche, CEO de African Drive ».
« Être critique et convaincant sur le marché est donc rentable. Il faut faire de même pour mettre fin à ce commerce insensé de carburant. Le nom est déjà tout trouvé : Baobab Energie. Le défi est grand, mais l’ambition est belle ».
Révolution énergétique
La lutte contre la pollution de l’air est à présent lancée. « Nous voulons introduire de nouvelles mobylettes sur batteries », poursuit Jonas Van Eyck. « Ces batteries peuvent littéralement distribuer de l’électricité dans le pays. Vous pouvez bien sûr rouler avec une mobylette sur batterie, mais vous pouvez également y raccorder un appareil électroménager. Et si vous avez un panneau solaire, vous pouvez revendre de l’électricité au lieu de carburant illégal. Les possibilités sont énormes. Aujourd’hui, dans les zones rurales, 11% seulement des ménages ont l’électricité. Dans les villes, c’est un peu plus de la moitié ».
Le moment est idéal. Le prix de revient des batteries est en baisse. « Nous approchons du point de basculement où la conduite électrique devient plus économique que la conduite avec essence de contrebande », explique Jonas Van Eyck. « Nous ciblons prioritairement la classe moyenne: ils ont la possibilité de participer. Et à un moment donné, tout le monde en profitera – comme avec les bus. La valeur ajoutée de l’énergie générée restera dans le pays, contrairement au trafic de carburant. Ici, tout l’argent sort du pays ».
« Si nous pouvons améliorer l’accès à l’électricité via des mobylettes électriques, nous ferons d’une pierre deux coups. Nous créerons de la richesse et améliorerons la qualité de l’air. L’air du petit ring à Bruxelles est plus pur que partout ailleurs au Bénin ! C’est vraiment un énorme problème. Environ 200 personnes sur 100.000 meurent chaque année des effets de la pollution de l’air ».
La moto idéale
Tout passe par l’introduction de nouvelles motos sur batteries. « Elles doivent être perçues par les gens comme une amélioration. Elles doivent être capables de faire tout ce qu’ils font déjà : transporter des personnes et des marchandises. Mais avec ces motos, les gens seront plus en sécurité, en meilleure santé et souffriront moins du bruit. African Drive a travaillé sur plusieurs prototypes au cours des deux dernières années. « La prochaine étape est un projet pilote, 20 utilisateurs. Il est important de voir si le concept plait aux gens et au gouvernement. Avec Baobab Express, le gouvernement était enthousiaste et cela nous a certainement aidé ».
Jonas Van Eyck se sent bien entouré. « African Drive est responsable des finances et des connaissances du Bénin. Pour la conception des motos, nous travaillons avec la KULeuven et pour les batteries, avec IMEC. Nous avons des partenaires pour les panneaux solaires, pour le paiement mobile et pour la plateforme numérique qui contrôle tout. Nous travaillons également avec un fonds d’investissement local et nous sommes naturellement très heureux du soutien de la Fondation Roi Baudouin. Cela nous donne confiance. Mais de nouveaux partenaires et savoir-faire sont toujours les bienvenus ».
En 2024, African Drive espère vraiment déclencher une révolution au Bénin. « Nous voulons organiser la gestion, la production et la maintenance complètes des motos localement », commente Jonas. « Notre rêve est un modèle d’entreprise durable qui crée de la prospérité et profite à tous. Pour y parvenir, il faut parfois oser penser de manière créative et perturbante ».