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Une entreprise ghanéenne propose des solutions numériques pour l’agriculture locale : « Une entreprise d’agriculteurs, pour les agriculteurs »

Forte de solutions mobiles numériques fondées sur les données, la société ghanéenne Farmerline veut améliorer la situation de milliers d’agriculteurs dans les zones rurales d’Afrique – ils sont déjà plus de 200 000 aujourd’hui, dans treize pays. La société soutient entre autres une production alimentaire plus efficace, nécessaire pour faire face à l’augmentation de la population sur le continent. Le fondateur Alloysius Attah : « Nous voulons que la plus-value de leurs activités agricoles aille entièrement aux agriculteurs africains, en les aidant à gérer leurs exploitations comme des entreprises. »

Au Ghana, plus de 95 % de la nourriture nationale est fournie par les petits agriculteurs. L’agriculture y est dès lors la principale source de revenus, représentant environ 20 % du PIB et 45 % de l’emploi. Le secteur se caractérise toutefois par une faible productivité avec des techniques agricoles traditionnelles, une faible mécanisation et une irrigation restreinte.

Dans le nord du pays, dans la région bordant le Sahel, le changement climatique rend l’agriculture toujours plus difficile, avec des pluies de plus en plus irrégulières. Dans le reste du pays, la dégradation et l’érosion des terres entrainent une désertification croissante. Bien que le Ghana ait été le premier pays africain à parvenir à réduire de moitié la pauvreté – un des objectifs du millénaire -, un quart des Ghanéens vit toujours sous le seuil de pauvreté. Selon un rapport de l’organisation humanitaire Programme alimentaire mondial, l’on estime qu’un peu plus d’un million de Ghanéens souffrent d’insécurité alimentaire.

« Pour moi, c’était un problème, » déclare Alloysius Attah, cofondateur et CEO de Farmerline. « L’agriculture à petite échelle joue un rôle majeur dans notre approvisionnement alimentaire. Avec l’augmentation de la population, le secteur doit être en mesure de contribuer à la sécurité alimentaire mondiale, tant aujourd’hui que dans le futur. »

Fondée en 2013 par Alloysius Attah et Emmanuel O. Addai, Farmerline permet à plus de 200.000 petits exploitants agricoles à travers l’Afrique d’accéder à des informations sur les marchés, des prévisions météorologiques locales, des conseils agricoles et des organisations plus importantes, et ce grâce à son logiciel propriétaire, Mergdata.

Attah s’est inspiré de sa propre vie pour créer son entreprise : « Dans le passé, lorsque j’étudiais l’agriculture puis l’informatique, je passais beaucoup de temps le weekend dans le champ de ma famille. Nous cultivions surtout notre propre nourriture. L’agriculture était un mode de vie pour de nombreuses familles de notre communauté. Durant cette période, j’ai été confronté aux défis auxquels l’agriculture faisait face. J’ai constaté que nous faisions les choses de manière inefficace en raison de l’accès limité que nous avions à l’information, au financement, aux marchés extérieurs et à des intrants de qualité pour la protection des cultures. »

« D’autre part, l’utilisation de la téléphonie mobile avait fait son apparition presque partout au Ghana. Les appels téléphoniques et l’argent mobiles étaient en plein essor. Nous y avons vu une opportunité et avons profité de la croissance des solutions de télécommunications mobiles pour améliorer l’agriculture, » affirme Attah. Selon GSMA, bureau d’étude pour les opérateurs de téléphonie mobile du monde entier, près de la moitié de la population du Ghana se connecte à Internet via le téléphone, soit le deuxième chiffre le plus élevé pour l’Afrique.

Un service d’information

Farmerline collecte des données auprès d’institutions financières, de gouvernements, de stations météorologiques et d’agences de développement. « Ces informations sont traitées dans Mergdata, la technologie sur laquelle repose notre entreprise, » explique Worlali Senyo, consultant en partenariats chez Farmerline. « Elles sont ensuite communiquées aux agriculteurs, en fonction de leurs besoins personnels. L’objectif est de permettre aux agriculteurs de prendre des décisions éclairées, orientées vers le marché, en vue d’accroitre leurs rendements et leurs profits. »

Farmerline utilise des messages vocaux enregistrés dans les langues locales pour informer les agriculteurs et leur transmettre des informations importantes, telles que les prévisions météorologiques. La plateforme génère des appels téléphoniques automatisés, avec un contenu adapté aux utilisateurs. « Les agriculteurs peuvent décrocher leur téléphone et écouter des informations personnalisées. Cette ligne directe vous permet de réagir rapidement. »

Ce n’est toutefois pas si facile dans un pays où plus de 80 langues sont parlées. La barrière de la langue est un réel problème. Dans les zones reculées, tout le monde ne parle pas l’anglais, langue officielle du pays. Les grandes entreprises qui travaillent avec les cultures des agriculteurs peuvent dès lors être confrontées à un véritable défi. Aussi Farmerline élargit-elle l’éventail de langues locales sur sa plateforme. Par exemple, le service est disponible en twi, un dialecte répandu. « Notre objectif est de rendre la plateforme accessible en permanence à tout le monde sur le continent. Dans certaines communautés agricoles, la connexion Internet n’est pas non plus toujours disponible. C’est pourquoi nous utilisons des services mobiles de messagerie vocale et textuelle, qui ont une portée plus large que les services internet. »

Farmerline_Ghana

« L’agriculture à petite échelle joue un rôle majeur dans notre approvisionnement alimentaire. Avec l’augmentation de la population, le secteur doit être en mesure de contribuer à la sécurité alimentaire mondiale, tant aujourd’hui que dans le futur. »

Haute technologie

Cette facilité d’accès va toutefois de pair avec la haute technologie : « Nous nous appuyons sur l’intelligence artificielle (IA) et la technologie des chaines de blocs pour fournir la bonne information au bon agriculteur au bon moment, » explique Worlali. « Le gouvernement belge est partenaire d’un projet qui commencera cette année et vise la culture à petite échelle du cacao, des légumes, du riz et du maïs. Ce projet soutient la communication directe entre les entreprises et les agriculteurs au Ghana. La technologie des chaines de blocs permet aux parties prenantes de proposer des crédits et d’autres services financiers, alors que nous utilisons l’IA pour un programme d’apprentissage intelligent destiné aux agriculteurs. »

Le logiciel Mergdata intègre également une fonction de marché qui permet aux agriculteurs d’acheter presque tout ce dont ils ont besoin pour leur travail : engrais, semences, pesticides, pompes à eau, etc. « Nous distribuons un certain nombre de choses susceptibles d’améliorer la santé des agriculteurs, comme un masque buccal avec les pesticides que nous vendons, » raconte Attah. « L’accès à des produits de qualité est également un problème dans les pays en développement. Environ 30 % des engrais et semences en circulation sont contrefaits ou de mauvaise qualité, » déclare Attah. « Si nous commercialisons en permanence des produits de qualité et les rendons plus accessibles, nous laissons peu de place aux contrefaçons. »

Bien qu’environ 60 % de la population africaine ait moins de 24 ans, la FAO estime que l’âge moyen des agriculteurs est de 60 ans. Les jeunes se tournent de plus en plus vers des activités non agricoles, ce qui rend l’avenir de l’agriculture incertain. « Farmerline mise sur les jeunes pour atteindre la croissance nécessaire du secteur agricole. Nous espérons stimuler l’esprit d’entreprise novateur des jeunes, afin qu’ils utilisent leurs compétences et leurs idées au profit de l’agriculture. L’équipe de Farmerline compte également en ses rangs des jeunes issus ou non du monde agricole. Nous mettons ces différents parcours et perspectives en commun afin de créer des solutions pour le secteur, » explique Attah.

Capitaliser sur la valeur ajoutée locale

« Nos services accroissent la productivité, qui à son tour augmente les revenus des agriculteurs. Notre modèle d’entreprise peut dès lors contribuer à créer des emplois pour les habitants tant des zones rurales qu’urbaines, » affirme Attah. Le choix de se concentrer sur l’Afrique rurale est économiquement judicieux. Il argumente : « Avant d’acheter une maison, un smartphone ou une connexion internet, il faut satisfaire les besoins alimentaires de base. D’abord, la nourriture, puis le reste. Et il y aura de plus en plus de bouches à nourrir. Dans les pays en développement, le secteur agricole offre aux entreprises de nombreuses possibilités de créer de la valeur ajoutée et de réaliser des bénéfices. Nous voulons créer cette valeur aussi localement que possible, le bénéfice ayant un effet d’entrainement positif sur l’ensemble de la chaine de valeur. »

Cela semble bien fonctionner. Aujourd’hui, Farmerline est active dans treize pays africains, dont le Ghana, la Sierra Leone, l’Ouganda, le Cameroun, le Nigeria et le Malawi. L’équipe de Farmerline compte désormais 50 employés et plus de 200 agents de terrain, tous africains formés sur place.

« Avec Farmerline, nous voulons devenir une entreprise africaine qui s’inscrit dans la durée : 200 ans, peut-être 500 ans. Ce serait bien, » rit Attah. « Nous voulons devenir une entreprise d’agriculteurs et de talents africains pour les agriculteurs du monde entier. »

Cet article explique principalement l’aspect technologique du projet. De plus, Farmerline vend à travers son réseau de distribution des intrants (semences de qualité, des engrais, des pesticides,…) pour essayer d’augmenter les récoltes.